《Within Time》
艺术微喷
尺寸可变, 2018-2019
在过去和现在的交汇中,图像成为了想象和真实之间的桥梁。艺术家通过对日常事物的观察,收集与它们关联、作用的时间,作为载体。
通过在不同事物消失的过程中,重复提取同一事物的图像,叠加重组成新的图像。艺术家试图去提醒绵延日常下的诗意,构建一种对于多重时间和空间的感知。涌动轻盈的,凝固瞬间的,持续混合地在图像内部交织暗涌。
Within Time
Giclée print
Dimensions variable, 2018-2019
In the intersection of the past and the present, images have become a bridge between imagination and reality. Through the observation of daily objects, the artist collects the associated and interacting time as a medium.
By repeatedly extracting images of the same thing as different things disappear, layering and recombining them into new compositions. The artist seeks to evoke the poetic within the continuous daily, constructing a perception of multiple times and spaces. Within the images, there is a flowing lightness, a frozen moment, and a continuous blend, interweaving currents in the depths.
Dans son dernier travail photographique, l’artiste Han Qian — femme, chinoise, réside à Paris — fait le contraire de ce qu’on attend d’un photographe. Ses photos sont floues. Sur certains tirages on devine encore le sujet, on reconnait une fenêtre, un rideau, une façade d’immeuble; sur d’autres en revanche on ne distingue plus rien, sinon des tâches de couleur à travers un épais brouillard.
Cet effet de flou n’est pas le résultat d’une technique de prise de vue particulière. Pour cette série toujours en cours et intitulée Within Time, Han Qian travaille de la façon suivante : elle photographie ses sujets à plusieurs reprises, à quelques minutes, quelques heures, voire une journée d’intervalle, et dans un deuxième temps les photos obtenues sont superposées par ordinateur. L’artiste les fait coïncider dans une même image, elle les remet ensemble, mais c’est comme ces choses qui une fois déballées ne rentrent plus dans le boîte, la symétrie des lignes est perdue. Les angles et les contours s’estompent. Le sujet pourtant n’a pas bougé mais des changements se sont produits dans le temps écoulé entre les prises, des variations de lumière, des fluctuations dans l’air ambiant qui viennent brouiller l’ensemble.
C’est là l’originalité de ce travail, car ces photos ne nous présentent pas des instants arrêtés sur le vif, des points isolés sur la flèche du temps ; chaque image de la série Within Time enregistre une durée, un prolongement. Han Qian travestit le médium de la photographie. Elle en fait autre chose. Sur ce support définitivement figé que constitue l’image photographique, elle juxtapose des moments successifs. Elle réalise, si l’on veut, des court-métrages statiques.
Han Qian n’est pas photographe de formation. Artiste pluridisciplinaire, son travail comprend aussi des vidéos, des performances, des installations, mais si sa pratique est diverse, au point de vue conceptuel ses projets forment un bloc relativement homogène : ils ont tous à voir avec la question du temps.
Où sont passés les moments vécus ? C’est là l’interrogation fondamentale au centre de son travail. Comment penser ces tranches d’existence datées, archivées dans la mémoire, et qui continuent d’être présentes à la conscience à l’état résiduel de souvenirs ? « Le passé se manifeste à chaque instant du présent, » écrit l’artiste. Et en effet l’esprit sollicite sans arrêts la mémoire. Par la pensée nous passons l’essentiel de nos vies à cheval sur des temporalités différentes. Les images de la série Within Time tentent de transcrire ce brouillage des cartes, cette simultanéité des temporalités qui s’opère à tout moment dans la conscience.
Han Qian ne s’intéresse pas à proprement parler au temps physique, à cette chose non-élucidée que les physiciens font correspondre dans leurs calculs au signe t, mais au temps dans sa relation à l’individu subjectif : au temps psychologique. Précision importante car sous cet angle, ce n’est pas seulement le problème du temps qui est posé, c’est tout autant le problème de ce qu’on pourrait appeler la persistance du moi. La question « où sont passés les moments vécus ? » en vérité en cache une autre: où est passé la personne que j’étais hier ? Que reste-t-il de ce moi que je ne suis plus, quand le temps dans lequel il était circonscrit a cessé d’avoir cours ?
L’artiste raconte une anecdote qui l’a marquée : quand elle a rendu les clés de l’appartement où elle a vécu pendant sa première année à Paris, après avoir déménagé ses affaires, en déambulant dans les pièces vides elle s’est soudain mise à douter de sa propre réalité. « Je recueillais toute la poussière cachée dans l’espace, dit-elle. J’essayais de trouver des preuves de mon existence au cours de la dernière année. »
Cette sensation de flottement, cette vision trouble de l’esprit qui parfois nous saisit lorsque notre expérience du réel nous semble reposer tout à coup sur des bases tremblantes, chacun a pu l’éprouver. Au fond c’est probablement ce qui caractérise le mieux les images de la série Within Time : ce flottement inexplicable, cette infranchissable myopie dès lors que l’on a sous le nez ce qui de loin nous paraissait limpide, cette profonde incertitude qui réside au cœur de notre relation au temps, donc à nous-même, et qui recèle — ce qui est peut-être le plus étrange — une part de satisfaction contemplative, autrement dit esthétique.
Alex Gobin
PORTRAIT D’ARTISTE / HAN QIAN : TRAVESTISSEMENT DU MÉDIUM PHOTOGRAPHIQUE, RÉFLEXION SUR LE TEMPS, Text by Alex Gobin